Je lis peu de livres très médiatiques, encore moins lorsqu’ils sont polémiques. Celui-ci aurait été classé dans la catégorie à fuir si l’histoire qui a fait la une de l’actualité l’année dernière n’avait pas de résonnance avec ma propre histoire. On ne va pas en faire toute une histoire,mais ce qui m’a énormément intéressée, c’était ce souhait, à l’origine, de taire ce secret de la part de la victime. Car le poids de foutre en l’air une famille, ce n’est pas rien. C’est une sacrée culpabilité qu’il faut pouvoir assumer quand on a treize ou quatorze ans. Pour la première fois, j’entendais les mots qui légitimaient mon propre silence.
Et ne nous méprenons pas : tous ces charognards qui ont fait de l’histoire de la familia grande leurs choux gras pendant des semaines étaient déjà au courant. Tout avait déjà été dit dans le cercle intime, identifié par la police lors du suicide de Marie-France Pisier et même dévoilé par des indélicats à des journalistes. Or, il faisait quoi le beau-père ? Il passait son temps sur ces mêmes plateaux télé qui bientôt en parleraient en boucle, à donner son avis.
Camille Kouchner n’a pas écrit ce livre pour livrer un scoop, il était bien éventé. Tellement éventé que c’est la raison pour laquelle elle ne voyait plus sa mère, jusqu’à son décès, à l’instar de ses autres frères et sœurs. Ceux qui n’y ont vu que la révélation de mœurs dissolues dans la gauche caviar se trompent lourdement.Ce livre est un cri déchirant d’amour à sa mère disparue. C’est l’incompréhension d’une petite fille (eut-elle 45 ans) qui a perdu sa maman chérie bien avant sa mort et qui en souffre toujours. Une lettre d’adieu qui interroge sur les limites de la liberté individuelle, en confrontant son éducation théorique à la réalité des actes. Pour moi, cette mère est restée dans le déni de la gravité des actes commis par son conjoint sur l’un de ses enfants. Elle a choisi de ne plus les voir, ni ses petits-enfants, arguant qu’ils l’avaient informée trop tard pour qu’elle puisse le quitter.
Pour moi, elle a été d’un égoïsme incommensurable, au mépris de l’amour que lui portait ses enfants, au prix de tous les perdre. La vérité a fait exploser la famille et n’a rendu personne plus heureux. Est-ce que la peur d’être confronté aux réactions de ceux qu’on aime et ceux qui sont censés nous protéger ne justifie pas à elle seule la volonté de silence ? À quoi bon s’infliger cette souffrance potentielle supplémentaire ? Victor trouvait qu’il avait passé le cap, qu’il fallait oublier et passer à autre chose. C’est parce qu’ils ont eu peur pour leurs propres enfants qu’ils ont fini par parler. Après des années à faire semblant, comme si de rien n’était. Et si cette bulle de faux semblants a fini par arriver à un stade tellement insupportable qu’elle a éclaté, on ne peut pas juger du silence qui a été loidurant toutes les années précédentes, on ne peut pas dire que c’est du mensonge, comme je l’ai moi-même tant entendu : c’est juste une forme d’apnée, une façon de survivre, parce que dans ces cas-là, famille connue ou pas, on fait comme on peut, et c’est déjà très bien.
