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La marge d’erreur – Nicolas Rey (293 pages)

Nicolas Rey est un auteur sensible, désabusé et à l’humour désespéré qu’on aime immédiatement lorsqu’on lui parle. Ses livres parlent d’écrivains sensibles, désabusés et à l’humour désespéré, mais comme il a eu la présence d’esprit de faire marquer “Roman” sur les couvertures, et même si ça ne nous évite pas de faire l’amalgame, il peut toujours prétendre qu’une partie du livre n’est pas autobiographique, contrairement à son double Gabriel.

Ça démarre plutôt pas mal, l’homme apprend qu’il a un cancer en stade terminal, alors qu’il ne vit que dans l’espoir que la femme de sa vie l’aime à nouveau, malgré la très faible probabilité que cela arrive. Il écorne au passage quelques présentateurs télé, actrices, influenceuses, écrivains et c’est drôle. Et puis il a une nouvelle voisine qui emménage. Une sorte de fantasme sur pattes, belle, intelligente, drôle, bien foutue, sexy en diable, coquine comme tous les hommes en rêvent, dévouée à son métier d’enseignante, la femme parfaite.

Malheureusement, Gabriel est un déchet insensible à ses charmes, puisqu’il attend que la femme qui l’a quitté revienne et qu’il ne ressent de toutes façons plus rien à cause de la tonne de médicaments qu’il ingurgite. Malgré tout, Diane s’acharne à le séduire (il a du bol, cette femme possédant autant de qualités aime les marginaux drogués dépressifs anciens alcooliques, impuissants qui passent leur vie à comater devant des séries).

Et c’est là que ça part en couille, parce que c’est trop, vraiment. Il arrête d’un coup tous les médocs, son cancer, on n’en parle plus, et tout l’enjeu se trouve dans des parties de jambes en l’air plus ou moins glauques, puisqu’il a retrouvé toutes ses capacités. Quand je pense qu’il nous a avoué avoir enlevé 6 pages entières de scènes érotiques ! Alors, oui, bien sûr, si on est là, c’est qu’un jour un homme et une femme ont fait l’amour. Mais on n’est pas obligé de boire la pisse de l’autre, hein non plus. Bref, un livre dont le style badin nous enchante et puis, comme lorsqu’on a trop abusé de substances plus ou moins licites, on finit la soirée en allant vite se coucher car on se sent vaguement nauséeux, inutile et vain.

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Pour une heure oubliée – Frédéric Perrot (290 pages)

Entre passé, présent et futur, les chapitres s’alternent sur une histoire tragique : une femme est morte, assassinée. Et le coupable était tout trouvé. Pendant 19 ans, Emile ressasse cet acte qu’il a complètement oublié sous l’emprise d’alcool et de drogue. Sa vie a repris son cours, mais cette abomination le suit bien après la peine de prison qu’il a purgée. Pendant longtemps il a clamé son innocence, et puis, il a fini par accepter, pour accepter aussi le fait qu’il a été incarcéré. Mais une seule taffe, comme pour les vrais fumeurs, peut faire replonger.

Plus qu’un polar, ce livre qui se lit d’une traite est une réflexion profonde sur qui on est vraiment, quels sont les actes dont on est capable, comment vivre avec ça, et comment continuer à vivre après avoir commis l’innommable. Excellent.

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Été, quelque part, des cadavres – Park Yeon-Seon traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Mathilde Colo (327 pages)

Musun est une jeune fille paresseuse qui a loupé deux fois son entrée à l’université. Alors comme elle ne se réveille pas le matin où tout le monde quitte la grand-mère, après l’enterrement de son mari, Musun est désignée d’office par la famille pour lui tenir compagnie et être sûre qu’elle ne vit pas trop mal son deuil. La fille de Séoul, citadine, dans ce trou paumé de villageois agriculteurs où aucun réseau ne passe ne se réjouit pas de son sort. Surtout que sa grand-mère ne cesse de la houspiller en la traitant de fainéante.

Jusqu’à ce qu’elle tombe sur ce dessin qu’elle a fait, quinze ans plus tôt, la dernière fois qu’elle est venue ici. Elle avait cinq ans et pendant son séjour, quatre filles avaient disparu. Le mystère n’a jamais été résolu. Mais elle pense que son dessin représentait une carte au trésor. La quête de ce trésor perdu va  l’amener à enquêter bien involontairement sur les disparitions.

Dans quelle case classer ce roman, franchement ? Qualifié de thriller, sachez que son originalité et son histoire vous emmèneront bien au-delà des thrillers classiques, bien plus subtile, bien différent des enquêtes habituelles. Une belle découverte de cette toute jeune maison d’édition, spécialisée dans la littérature noire coréenne qui peut tous vous entraîner, même si vous n’êtes a priori pas amateurs du genre.

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Ni seuls, ni ensemble – Marie-Fleur Albecker (237 pages)

Karim et Louise se rencontrent, s’aiment, se marient. Quoi de plus banal ? Comment ça, vous avez tiqué sur KARIM ET LOUISE ? Pourquoi n’auriez-vous pas tiqué sur Karim et Samia ou Jean-Benoît et Louise ? Justement, tout l’objet du roman est de décortiquer les rouages des clichés en tout genre : le racisme latent et larvé, involontaire parfois, ouvertement affiché à d’autres moments, orné des clichés sur les origines sociales et les clichés religieux.. L’amour et tous les petits tracas qui en découlent, les non-dits, les compromis, la belle-famille. La politique, et l’engagement, les idées et leur défense. 

A la fois drôle et grinçant, vous vous retrouvez forcément dans une case et tout est plus alambiqué qu’il n’y paraît. Les scènes de retour des premières rencontres avec les belles-familles en sont le meilleur exemple, le plus drôle. Un livre moderne sur la vie des jeunes qui se mettent en couple pour le meilleur et pour le pire, ni seuls, ni ensemble, jusqu’à cette fin, terrible, abrupte, qui nous fait dire : Comment ? Ça se termine là ?

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Le démon de la colline aux loups – Dimitri Rouchon-Borie (237 pages)

Après la rencontre avec l’auteur, et les premiers retours de mes camarades blogueurs, j’ai pressenti que ce livre serait une forme d’épreuve.

En effet, ce livre est une épreuve physique. Nous avons tous ressenti cette forme d’étouffement, d’asphyxie, d’apnée incommensurable. Malgré une histoire absolument épouvantable, rien ne nous arrête, on continue malgré l’effort, la douleur physique qu’il représente. Malgré un style inventé, comme le style d’un enfant qui n’aurait pas beaucoup été à l’école, on veut encourager le narrateur à poursuivre, et son “parlement” passe bien.

Ce livre est une épreuve, mais il est magnifique. Un livre qui reste. Et un héros qu’on aurait voulu aider, avant qu’il ne soit trop tard, bien qu’on sache que c’était impossible, que tout était inéluctable. On aurait voulu que l’ange ne soit pas blessé, et qu’il ne dérape pas. Pour les rares moments de lumière et la beauté qui en découle. Un grand livre.

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Indice des feux – Antoine Desjardins (343 pages)

Habituellement, je n’aime pas trop les nouvelles. C’est ce que la plupart d’entre nous ont dit en ouvrant le roman d’Antoine Desjardins. Rapidement, les lignes conductrices de l’ouvrage nous font oublier ce genre mal-aimé pour nous embarquer dans l’émotion.

Il y avait longtemps que je n’avais pas été bouleversée par un livre à ce point.

L’amour sous toutes ses formes (filial, maternel, amoureux, fraternel, amical…) est l’une de ces lignes en filigrane, l’autre, le désastre écologique qui nous pend au nez et pour lequel au mieux, nous sommes impuissants, au pire, nous participons involontairement.

Ce livre est magnifique, jamais dans le jugement, et même si la planète va mal, même si, au fond, le livre est terriblement pessimiste, il nous donne envie de continuer, d’agir, de changer les choses.

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Le sanctuaire – Laurine Roux (148 pages)

Le sujet de ce livre pourrait laisser penser qu’il est issu de la crise épidémique qui secoue le monde actuel. Pourtant, toute ressemblance…

Une famille, isolée dans la forêt après une épidémie de grippe aviaire qui a décimé l’humanité, survit de chasse, de cultures et de haine des oiseaux. Tous les oiseaux qui s’aventurent trop près d’eux doivent être tués et brûlés.

La mère, Alexandra, raconte le temps passé, elle fait revivre la grâce d’un monde perdu. June, la fille aînée, a connu ce monde, elle en a des souvenirs, mais Gemma est une vraie sauvageonne, une Diane chasseresse qui n’a peur de rien. Le père part en expédition et ramène de quoi tenir le coup dans le sanctuaire.

Mais un jour, Gemma rencontre un homme qui vit parmi les oiseaux. Le doute s’immisce alors. Et si tout ce qu’elle croyait depuis le début de sa vie n’était qu’un mensonge ? Le style de Laurine Roux, délicat et poétique, nous berce dans son univers post-apocalyptique. 3ème lauréate du prix  Vleel, ce court roman est à découvrir.

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La dixième muse – Alexandra Koszelyk (280 pages)

Un des plus beaux vers de la poésie française est sorti du cerveau un peu fantasque de Guillaume Apollinaire : “et mon verre s’est brisé dans un éclat de rire.”

Alexandra Koszelyk réussit la prouesse de nous emmener sur le terrain glissant de la fiction magique sans se casser la figure et sans un seul instant friser le ridicule tout en parvenant à nous transmettre l’essentiel de la biographie du poète qui a révolutionné la poésie sans étaler son érudition et ses recherches colossales. Elle aborde aussi un aspect plus méconnu de la vie de l’artiste, son amour de la nature, en faisant t directement parler Gaïa, la terre nourricière.

Elle met en scène un obscur prof d’allemand qui, du jour au lendemain est obsédé par Apollinaire, rêve de moments qui lui semblent réels, et démarre des recherches approfondies sur l’homme, son histoire et sa littérature.

Un roman instructif et abordable pour nous replonger dans l’œuvre et la vie de ce poète au destin singulier.

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Les impatientes – Djaili Amal Amadou (240 pages)

Les lycéens ont décidément bon goût. Avec ce Goncourt, ils le démontrent une nouvelle fois. Rencontrée lors d’un VLEEL, Djaili Amal Amadou est la joie de vivre incarnée. Pourtant, dans son roman, elle nous explique que les filles n’ont pas voix au chapitre. Ce que pense une fille n’a aucune importance. Munyal munyal… Patience ma fille, patience. Voilà ce qu’on répète inlassablement aux filles Peules. Le poids de leur culture est terriblement pesant. La religion est venue ajouter sa couche. On brandit le Coran à tout bout de champ pour imposer la volonté des pères, des oncles, des frères sous couvert de la volonté d’Allah.Pour éviter à leurs mères d’être répudiées avec leurs enfants les plus petits, les filles se laissent marier à des hommes qu’elles n’ont pas choisi. L’hypocrisie et la trahison règnent en maître dans ces concessions. Les femmes attendent que leurs rivales tombent, elles ne se gênent pas pour leur faire des croche-pieds pour se mettre en avant et être la préférée de l’époux qu’on leur a choisi.

Au travers de trois destins bien différents (Ramla, la jolie adolescente qui veut devenir pharmacienne, Hindou, sa demi-soeur mariée le même jour à un cousin violent, bon à rien et buveur et Safira, la première épouse de l’homme qui a décidé de prendre Ramla en secondes noces), on verra que la patience a parfois des failles.

Personnellement, j’ai trouvé ce livre indispensable et terrifiant, même si son autrice a une telle foi en l’avenir et dans le rôle que les femmes ont à jouer qu’on doit l’aider à mettre en œuvre cette lueur d’espoir.

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Envole-moi – Sarah Barukh (202 pages)

A l’instar de la chanson de Calogero 1987, faites un bond dans vos années adolescentes. Vous savez, cette période où vous commencez à chercher à séduire avec des boutons et / ou des culs de bouteilles et / ou des rondeurs et / ou des cheveux qui deviennent indomptables. Cette période où les amitiés sont à la vie à la  mort, exclusives. La période où il y a toujours la belle avec sa copine moche. Cette copine moche qui n’aura jamais confiance en elle, même quand elle sera devenue belle. Qui se réfugie dans les livres et les études pour montrer qu’elle vaut quelque chose, autrement.

Anaïs est devenue adulte et elle fait fausse couche sur fausse couche quand elle reçoit un appel de son ancienne amie d’enfance, Marie. Elle se sont perdues de vue, suite à une année terrible où une succession d’événements désastreux ont fini par briser leur amitié. Alors qu’irait faire Anaïs aux funérailles de Brigitte, la mère de Marie ?

Un roman sur la douleur de l’adolescence, de la découverte de soi, des déconvenues. Un roman sur les débuts de la dégradation sociale dans les quartiers populaires. Un roman où on rit et où on pleure. Des personnages attachants qui restent longtemps après, à vous accompagner. Merci Sarah.