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Tableau final de l’amour – Larry Tremblay (200 pages)

Je ne peux pas dire que je suis une grande fan de la peinture de Francis Bacon. Je ne peux pas dire que je connais bien cet artiste que j’ai à peu près découvert par hasard cet été en visitant le musée de Dublin où son atelier, véritable foutoir chaotique (il disait ne pouvoir créer que dans le chaos) a été déménagé de Londres pour être reproduit à l’identique. Sa peinture, violente et torturée ne me parle pas beaucoup.

Mais ce livre, pourtant pur roman, inspiré de la vie de l’artiste, nous apporte un éclairage sur son processus créatif très intéressant. L’auteur, bien documenté, imagine une version crédible du cheminement intellectuel du peintre. Tout en gardant la conscience et donc la distance nécessaire sur l’aspect biographique, j’ai l’impression de mieux comprendre cette œuvre difficile. Une vraie réussite.

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Etica y estetica de una existencia – Esther Diaz – Pedro Luis Sotolongo (147 pages)

Ouh la la ! Il y avait bien longtemps que je n’avais pas lu en espagnol ! Pour prolonger ma rencontre avec Ernesto Guevara, dit « Che », je me suis dit que cet essai philosophique sur la vie du révolutionnaire argentin était le moment opportun de sortir ce livre qui traînait dans ma PAL depuis un moment. C’est intéressant le contraste avec « Voyage à motocyclette latinoamericana ». Ernesto, à vingt-trois ans, ne se voyait pas comme un révolutionnaire. Dans son écrit, il le dit : ce qui l’a animé pendant ces neuf mois de tribulations, c’est le taux de remplissage de son estomac. Alors, aujourd’hui, on peut bien sûr voir dans sa jeunesse les prémisses de son engagement futur, ses parents étaient déjà des bourgeois à part, le laissant jouer avec des enfants de toute condition, son père l’emmenait démasquer les nazis qui essayaient de fomenter des complots en Argentine, ils protégeaient les républicains espagnols ayant fui l’Espagne castriste. Il est montré comme la légende qu’il est devenue, c’est pratique un mort pour le transformer en légende. Cet essai est évidemment très parti pris et nous montre un homme asthmatique, certes, mais doté d’une telle force mentale et morale, d’une telle abnégation, que même si les anecdotes sont vraies, on peut soupçonner les auteurs de les avoir légèrement enjolivées. Et j’ai été étonnée de pouvoir me remettre aussi facilement à une langue que je n’ai pas pratiquée depuis un moment. En tout cas, les deux livres se faisaient admirablement résonnance, et c’était le parfait timing pour ce troisième duo de la saison, après les deux livres sur Rimbaud et ceux de, ou sur Edmonde Charles-Roux.

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Edmonde, l’envolée – Dominique de Saint-Pern (420 pages)

Dominique de Saint-Pern est fascinée par Edmonde Charles-Roux. Elle a déjà écrit un ouvrage sur cette écrivaine du vingtième siècle, mais là, elle cherche une certaine exhaustivité à retracer la vie de cette femme au destin incroyable. Une femme issue de la grande bourgeoisie catholique, collier de perles et immeuble particulier dans le 7ème arrondissement de Paris, elle aura combattu militairement pendant la deuxième guerre mondiale, travaillera dans la presse féminine, deviendra écrivain et obtiendra le prix Goncourt, deviendra présidente de l’académie du même nom, aura pour amis le couple Aragon/Elsa Triolet et d’autres personnes prestigieuses, épousera Gaston Deferre et sera politiquement toute sa vie résolument à gauche. Le cœur est à gauche disait-elle, c’est physiologique. Une femme belle, libre, forte et très dure aussi que l’on retrouve à peine voilée dans son premier roman, Oublier Palerme, aux forts accents autobiographiques.

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Le fumoir – Marius Jauffret (192 pages)

Que fait-on lorsqu’on se retrouve malgré soi enfermé dans un hôpital psychiatrique ? On fume toute la journée, dans ce fumoir où les pensionnaires se croisent et discutent de liberté. J’avais entendu parler de ce livre polémique lors de sa sortie en 2020, et j’avais été circonspecte. J’imaginais : un fils d’écrivain un peu fou qui explique qu’il ne l’est pas en attaquant l’institution. Cela me rendait sceptique sur la qualité du récit . Je me trompais. L’histoire est tragique, grinçante, bourrée d’un humour cynique et fin comme je les aime. Mais il est avant tout remarquablement bien écrit. L’écriture de Marius Jauffret vaut à elle seule le détour, et le hasard qui m’a finalement poussée à acheter ce livre a bien fait les choses. Au-delà de tout ce qu’il décrit, le récit, en tant qu’objet littéraire mérite d’être lu.

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Une farouche liberté – Gisèle Halimi avec Annick Cojean (153 pages)

Il y a des êtres humains qui sont clairement au-dessus de la mêlée. Quand on naît femme en Afrique du Nord en 1927 dans une famille pauvre, le destin est a priori tout tracé : Se marier à quinze ou seize ans pour servir un mari après avoir servi ses frères. Gisèle Halimi, elle, résiste à cet état de fait, dès le départ. Pour elle, c’est injuste, et elle passera sa vie à combattre l’injustice en général. Elle deviendra donc avocate. Et ses combats seront des avancées majeures pour les femmes, avec des modifications de lois ou de nouvelles lois comme le droit à l’avortement, à la contraception, la lutte contre le viol et la façon d’aborder ce type de crime dans les tribunaux, l’abolition de la peine de mort. Quelle femme incroyable !

Et quelle plume merveilleuse que celle de la non moins merveilleuse Annick Cojean ! Elle retrace de manière tellement fluide cet entretien. Quelle chance a eu Annick de l’avoir rencontrée, d’avoir eu ces conversations sûrement passionnantes avec elle ! Je suis une femme de cinquante ans qui n’a jamais eu à se battre pour faire des études, pour me protéger de grossesses indésirables, pour être libre d’aimer qui je veux, comme je veux. On a tendance à oublier que tous ces droits qui ont été acquis de dure lutte restent fragiles et sont régulièrement bafoués, dans des pays qui se considèrent comme des démocraties
(l’actualité récente vient de raviver douloureusement la fragilité de ces acquis). Nous ne sommes pas à l’abri. Nous devons rester vigilants. Tous. Hommes et femmes ensemble.

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La mère à côté – Thael Boost (199 pages)

Moi aussi, j’ai lu ce livre qu’on a vu massivement fleurir sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. La tête de la mère de Thael, « c’est plus vraiment ça ». Depuis quelques années, la maladie d’Alzheimer lui prend ses souvenirs, ses connaissances et ses capacités. L’ensemble dans un maelström aléatoire, à la fois tragique, puisque la dégradation est inexorable, mais saupoudré de moments drôles, car cette mère au caractère espiègle arrive à faire rire et sourire sa fille avec ses réparties pétillantes.

Thael, par amour pour sa mère, écrit des bribes de souvenirs pour éviter qu’ils ne se perdent définitivement. Elle nous parle de cette maladie qui déboussole peu à peu, laissant les malades dans un flou et une incertitude où seule la bienveillance des proches peut les rassurer un peu. Elle y mêle ses propres souvenirs d’enfance. Car dans la tête des malades d’Alzheimer, tout se confond, notamment les époques et cette dame si gentille, on ne sait plus très bien si elle est sa fille, sa sœur ou sa mère. Un livre touchant d’amour parsemé de facéties.

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A la recherche de Milan Kundera – Ariane Chemin (133 pages)

Comme beaucoup, je suis une inconditionnelle de Milan Kundera. Comme beaucoup, dans sa littérature, j’aime les parallèles entre la grande Histoire et les petites histoires personnelles. Ariane Chemin a enquêté pour rencontrer cet auteur qui a disparu de la vie publique depuis 1984. Elle a notamment beaucoup rencontré sa femme, des élèves, des gens qui l’ont connu. Ce monsieur, qui est fort âgé aujourd’hui est un mystère qui nous donne encore plus envie de le rencontrer lorsqu’on lit cette enquête.

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L’autre Rimbaud – David Le Bailly (360 pages)

De Rimbaud, j’ai encore en mémoire des vers qu’on apprenait à l’école, des histoires de poches trouées et de bateau ivre, un soupirail et un boulanger, des petits aux joues rouges collés les uns aux autres. Mais je suis loin d’être une rimbaldienne acharnée, d’ailleurs
j’ignorais à peu près tout de la vie du poète, hormis sa relation scandaleuse avec Verlaine et son image à dix-sept ans, les yeux si bleus, perdus dans le vague. Donc pour ma part, j’ai tout découvert de la vie de Rimbaud dans ce livre qui essaye de réhabiliter celui que le reste de la famille a tenté d’effacer complètement, a mis de côté, n’a pas été enterré dans le caveau familial, a été spolié de l’héritage par sa propre mère et sa sœur dont il était le
parrain : le frère de Rimbaud, son aîné d’un an. Arthur et Frédéric étaient deux frères très proches, et puis Arthur est parti à Zanzibar pour faire fortune et il a abandonné et renié son frère, écrivant à sa mère qu’il était idiot. Pourquoi cet opprobre ? Une histoire d’amour.
Frédéric s’est entêté à épouser la femme qu’il aimait, et avec laquelle il eut quatre enfants.
Un mariage honni par sa famille qu’il paiera fort cher. Et aussi, le tort absolu d’avoir soutenu son père contre sa mère, alors qu’ils étaient séparés. Arthur n’est pas présenté sous un jour très sympathique, c’est plutôt un sale type, et tant pis pour ceux qui me fustigeront. Un point de vue très intéressant, donc, sur cette famille où presque tout le monde est méchant.

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La lionne – Anne-Caroline Pandolfo, Terkel Risbjerg (195 pages)

Toujours dans le cadre du festival des Boréales qui approche à grands pas, l’illustrateur Terkel Risbjerg a collaboré avec Anne-Caroline Pandolfo sur plusieurs projets de romans graphiques. Ils se sont attaqués à des mythes comme Perceval, mais ont aussi adapté des romans (L’astragale, Serena…) ou des biographies. Ici, il s’agit de Karen Blixen, Danoise éprise d’aventure et de liberté. Cette femme hors du commun, née à la fin du 19ème siècle dans une famille où les femmes étaient d’un puritanisme absolu, mais dont le père a insufflé à cette petite fille rebelle son goût de l’aventure, des voyages et de l’écriture.

Vous avez peut-être entendu parler de « Out of Africa » le film un peu suranné avec la sublime Meryl Streep qui s’intéressait déjà à ce destin hors du commun, dont le titre est celui du récit que Karen Blixen elle-même a écrit au sujet de son expérience de plantation de café en Afrique (qui porte en français le terne titre de « La ferme africaine »).

Pour aborder toute la complexité de la personnalité de Karen Blixen, le sujet est ici traité avec un scénario empreint de poésie et de surnaturel. Vous adorerez rencontrer cette femme, fragile et forte à la fois.

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L’appel – Fanny Wallendorf (352 pages)

Pour mon dernier retour de lecture de l’année, je finis en beauté avec le dernier livre de la sélection du prix Cezam de l’année dernière. Je me rappelle les cours de gym au lycée où l’idée seule de me jeter en arrière, la tête à l’envers, me procurait des frissons de dégoût. Tout ça pour dire que je ne suis pas férue de cette discipline a priori.

Fanny Wallendorf a ce don pour rendre passionnant un sujet qui pourrait paraître rebutant. En pleins jeux olympiques, cette lecture entre particulièrement en résonnance avec l’ambiance du moment. Inspiré de la vie de l’inventeur d’une technique de saut en hauteur qui porte désormais son nom, Richard Fossbury, ce roman est aussi la description d’une époque, du rêve américain des années soixante et de l’envers du décor qui envoyait des enfants conscrits à la guerre.

Ce superbe livre empli de joie tranquille, de constance, de détermination dénuée d’esprit de compétition, raconte l’histoire d’un jeune homme qui a seulement fait ce qu’il avait envie de faire.