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La confusion des sentiments – Stefan Zweig traduit de l’allemand par Olivier Mannoni (165 pages)

A une époque où l’homosexualité était interdite et réprimée dans la plupart des pays, et même quelques années plus tard, punie de déportation, écrire un roman sur un notable homosexuel était sûrement très osé, révolutionnaire et audacieux.  

Aujourd’hui, cette histoire de prof amoureux de son élève et marié par convention semble un peu désuète pour un public moderne. Pour autant, le style de Zweig nous emporte dans son histoire et nous brosse un tableau de la jeunesse allemande des années 20. Et ce petit classique reste un bijou d’écriture.

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Salammbô – Gustave Flaubert (353 pages)

Salammbô est le livre préféré d’un ami. À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Flaubert, Rouen, sa ville natale, organise une exposition sur Salammbô. Avant d’aller voir cette expo, je me devais de l’avoir lu !
J’ai toujours aimé les classiques, Balzac, Zola entre autres. Mais j’avoue être complètement passée à côté de Madame Bovary. Cette insatisfaite chronique, son ennui de la vie, m’ont profondément agacée. Flaubert a par ailleurs essuyé de nombreuses critiques sur ce livre scandaleux (une femme adultère, mais où allons-nous ?). Ainsi, il avait décidé d’écrire un livre complètement différent et c’est de ce rejet qu’est venue l’idée de ce roman.


Salammbô est une pure merveille, un vrai joyau de lecture, ciselé à l’or fin et incrusté de pierreries.
Salammbô, c’est le pendant de l’Iliade et l’Odyssée. C’est l’art de la guerre, ce sont des hommes qui ont marqué l’histoire, au point qu’on en parle encore plus de 2000 ans plus tard. C’est une profusion de richesses, et des descriptions de stratégies qui forcent l’admiration. C’est aussi l’horreur de batailles sanglantes, de sacrifices humains.
Entre suspens et effusions de sang, vous dévorerez ce péplum remarquable.

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Lolita – Vladimir Nabokov traduit de l’anglais par Maurice Couturier (516 pages)

Mon rendez-vous avec Lolita aura été une amère déception. Je croyais lire l’histoire d’une jeune fille un peu délurée qui aurait rendu fou d’amour un homme mûr. Je ne crois pas beaucoup me tromper en affirmant que c’est un peu ce qui est  entré dans l’imaginaire collectif. Toutes les couvertures le sous-entendent. Quand on dit d’une jeune fille qu’elle est une lolita, on pense allumeuse. Jamais on ne pense victime. Jamais on ne dit petite fille violée.

Ce livre est la confession d’un pédophile assumé, qui sait parfaitement que ses pulsions sexuelles sont interdites et malsaines. C’est de surcroît un assassin, ce qui nous est dévoilé très rapidement. Ce livre a fait scandale à l’époque, on se demande même si quelqu’un oserait le publier de nos jours, mais ce scandale a eu lieu pour de mauvaises raisons selon moi. En 1955, ce qui a prévalu, c’est à la fois le caractère pornographique de l’œuvre (or ce n’est en aucun cas pornographique) et l’absence finalement de pornographie (ceux qui attendaient, comme l’a lui-même dit Nabokov, une escalade de scènes de plus en plus sexuelles ont été déçus). Ce livre était donc inclassable, et c’est ce qui a déclenché le scandale.

Nous n’avons que le point de vue de cet homme, empli d’une morgue dédaigneuse, imbu de lui-même, qui justifie tous ses comportements hideux en mettant de côté le ressenti de cette pauvre enfant. On sent qu’elle fait ce qu’elle peut pour éviter, contourner, vivre avec cette dépendance infâme. Il la menace, lui ment, lui fait du chantage pour la forcer.

C’est par ailleurs assez monotone et si on trouve quelques belles pages littéraires, on s’ennuie plutôt ferme durant les 500 et quelques pages du roman

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La dixième muse – Alexandra Koszelyk (280 pages)

Un des plus beaux vers de la poésie française est sorti du cerveau un peu fantasque de Guillaume Apollinaire : “et mon verre s’est brisé dans un éclat de rire.”

Alexandra Koszelyk réussit la prouesse de nous emmener sur le terrain glissant de la fiction magique sans se casser la figure et sans un seul instant friser le ridicule tout en parvenant à nous transmettre l’essentiel de la biographie du poète qui a révolutionné la poésie sans étaler son érudition et ses recherches colossales. Elle aborde aussi un aspect plus méconnu de la vie de l’artiste, son amour de la nature, en faisant t directement parler Gaïa, la terre nourricière.

Elle met en scène un obscur prof d’allemand qui, du jour au lendemain est obsédé par Apollinaire, rêve de moments qui lui semblent réels, et démarre des recherches approfondies sur l’homme, son histoire et sa littérature.

Un roman instructif et abordable pour nous replonger dans l’œuvre et la vie de ce poète au destin singulier.

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Honoré et moi – Titiou Lecoq (295 pages)

J’ai adoré Honoré de Balzac, jeune. Je ne l’ai jamais trouvé ennuyeux, ou trop descriptif. Mais je n’aurais jamais imaginé que cet écrivain génial et prolifique était un dépensier compulsif, fou de fringues et de décoration d’intérieur. Pas étonnant que les femmes se sentaient tellement en phase avec un homme qui avait les mêmes hobbies et qui les comprenait si bien. Titiou Lecoq a épluché la correspondance et la comptabilité (plutôt fantaisiste) de l’écrivain pour nous en dresser un  portrait extrêmement moderne. Elle parvient à cette conclusion fondamentale et lucide : les auteurs sont des gens comme les autres. Même géniaux, même prolifiques, ils sont confrontés à des réalités bassement matérielles, et peuvent en arriver à être des menteurs invétérés pour éviter leurs créanciers. Ce livre est un enchantement, offre un visage et une facette méconnus de Balzac, et donne envie de se replonger dans littérature dans laquelle il s’est finalement inventé sa vie de rêve.

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Mon chien stupide – John Fante Traduit de l’anglais (Etats-unis) par Brice Matthieussent (188 pages)

Brice Matthieussent n’a pas son pareil pour révéler l’humour des ouvrages qu’il traduit. Mon chien Stupide n’échappe pas à la règle. 

Molise est un écrivain en berne qui survit grâce à des scénarii de télévision. Sa vie le déprime énormément, les signes extérieurs de richesse qu’il essaye tant bien que mal de maintenir ne le rendent pas heureux et il aimerait assez se débarrasser de ses quatre enfants, tous adultes, qu’il considère comme des parasites encombrants et ingrats. 

Un soir de forte pluie, un chien élit domicile chez lui, au grand dam de son épouse. Ce chien est tellement bête que tout le monde s’accorde à l’appeler Stupide. Sous une apparente placidité, ce chien va se révéler être un obsédé homosexuel, prêt à s’attaquer à tout ce qui bouge, et devenir agressif si on essaye de le contrer.

John Fante s’attaque à des mythes du rêve américain : belle maison, belle voiture, mais surtout une bonne couche de vernis pour masquer la misère de l’ensemble. Doit-on continuer à sauver les apparences, ou bien vivre ses rêves et ses envies d’ailleurs ? Cru et désabusé.

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Circé – Madeline Miller Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Auché (549 pages)

Qui était Circé ? Une vilaine sorcière qui transforma les marins d’Ulysse en pourceaux ? Assurément. Mais ce fut aussi une femme amoureuse, blessée, et libre. La mythologie revisitée par Madeline Miller est une pure merveille, car elle l’aborde sous l’angle terrible de la modernité. Les héros sont surtout d’affreux guerriers sanguinaires et les Dieux d’inconstants jaloux injustes. Parmi eux, Circé, donc, féministe à sa façon, et humaine dans sa déité. On révise l’histoire de la Grèce antique, de l’Odyssée, des écrits d’Eurypide dans cette longue épopée qui nous tient mieux en haleine qu’une série à rallonge.

Un roi sans divertissement – Jean Giono (256 pages)

Comment parler de ce livre ? Du style poétique et cru de Giono, de l’accent qu’on entend entre les lignes ? Des odeurs qu’il nous fait sentir ? De cette histoire de gens rudes de la montagne? De Grenoble en 1843?

Je pense que ces trois courts extraits en parleront mieux que moi : 

“Naturellement, robe à éblouir : moires, jais, satin, dentelles et même, malgré sa grosseur naturelle, un soupçon de tournure qui lui donnait un petit air faisanne.”

“Il mordait sa nourrice. C’est sensible un sein. J’aime bien les enfants, mais je te lui aurais foutu sur la gueule!”

“Qui a dit : “Un roi sans divertissement est un homme plein de misères ?” “

Moravagine – Blaise Cendrars (236 pages)

Moi qui ne relis jamais, j’ai profité du confinement pour me replonger dans ce livre poétique et fou où l’on croise un double de Cendrars maléfique, assassin et fantasque; mais aussi Cendrars lui-même. Le rythme de l’écriture, unique, vous entraîne faire le tour du monde pour en déranger l’ordre établi.

« Les épidémies, et plus spécialement les maladies de la volonté, les névroses collectives, comme les cataclysmes telluriens dans l’histoire de notre planète, marquent les différentes époques de l’évolution humaine.[…] « Prophylaxie ! prophylaxie!… » disent-ils; et pour sauver la face, ils ruinent l’avenir de l’espèce. »

« Tu n’as donc pas encore compris que le monde de la pensée est fichu et que la philosophie c’est pis que le bertillonnage. Vous me faites rire avec votre angoisse métaphysique, c’est la frousse qui vous étreint, la peur de la vie, la peur des hommes d’action, de l’action, du désordre. Mais tout n’est que désordre, mon bon. Désordre que les végétaux, les minéraux et les bêtes. Désordre que la multitude des races humaines; désordre que la vie des hommes, la pensée, l’histoire, les batailles, les inventions, le commerce, les arts; désordre que les théories, les passions, les systèmes. »

Home – Toni Morrison (142 pages)

En 142 pages, Toni Morrison nous fait tout ressentir : La peur, la souffrance, la joie, la confiance, le dégoût, l’enfer de la guerre, la pitié, le racisme, la compassion, l’entraide, l’amour, le dédain, l’ennui, le dépit. Son style incroyable nous cisèle ce condensé d’émotions pour nous ramener à la maison. At home. Le livre pourrait aussi bien s’appeler Hope. L’espoir. Car l’espoir de retrouver la sécurité de son chez-soi, c’est ce qui anime l’histoire et Franck Money, ce héros parti sauver sa sœur. Sublime.