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La villa Ruby – Mika Mundsen (637 pages)

En 1864, sous le second empire, une bande de notables achète pour une bouchée de pain des terrains marécageux en contrebas de Trouville. L’objectif : créer une ville luxueuse de toutes pièces qui concurrencera son illustre rivale perchée.

Deauville naît de cette idée un peu folle. Elle aura le succès qu’on lui connaît, et conserve encore aujourd’hui ce côté un peu snob et surfait. L’auteur raconte des moments marquants de l’histoire au travers d’une villa abandonnée jusqu’à nos jours où le descendant du premier propriétaire de la maison réapparaît mystérieusement comme un vestige du passé ressuscité. Les personnages sont attachants, laissez-vous entraîner dans le tourbillon de cette histoire foisonnante qui mêle habilement le suranné aux sujets d’une grande actualité. Mika Mundsen prouve encore une fois qu’il n’a aucun genre de prédilection et qu’on ne peut pas l’enfermer dans l’une des malles qu’il nous incite à ouvrir dans le grenier. Fouillez-les pour trouver des histoires parallèles à l’intrigue principale.

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DJ Bambi – Auður Ava Ólafsdóttir, traduit de l’Islandais par Éric Boury (198 pages)

J’aime l’écriture douce-amère de Auður Ava Ólafsdóttir. J’ai lu la plupart de ses romans qui agissent sur moi comme un plaid en plein hiver, réconfortant. Elle s’attaque à des sujets de société, avec des histoires de gens ordinaires dont les vies sont banales. Elle a l’art subtil de ne pas raconter grand-chose, tout en nous tenant en haleine. Elle possède la faculté rare de faire sourire en taillant ses congénères en pièces, tout en ayant l’air de ne pas y toucher.
Bambi est une femme née dans un corps d’homme. Elle raconte son parcours triste, partagé entre le silence du camouflage, jusqu’au déni de ce que l’on est au plus profond de soi, et l’assomption de ce qu’elle est vraiment, au point d’être rejetée par tous ses proches. Elle raconte l’attente d’une opération qui tarde à venir. Elle raconte le Logn, cet état qui n’a pas de traduction pour dire l’absence totale de vent. Comme toujours, le traducteur parvient à nous transmettre ces mots intraduisibles, une connivence qui s’affirme au fil de leur collaboration. Une réussite.

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Alice marche sur Fabrice – Rosalie Roy-Boucher (170 pages)

Alice a 26 ans. Elle est triste et en colère contre son chum qui l’a quittée pour cette Laure aux gros seins. Alors Alice décide d’aller évacuer sa peine sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Elle va sillonner la France du Puy à Saint-Jacques, et son parcours sera semé d’ampoules, de rencontres, plus ou moins agréables, de bonheurs et de désillusions. La marche permet de réfléchir, de s’oublier. Par petites touches, elle décortique sa relation avortée et remue le couteau dans sa plaie qui ne se referme pas. Dans un français québécois à l’accent charmant, même si, parfois, le vocabulaire est vraiment propre au Canada, l’autrice nous fait beaucoup rire avec sa jeune marcheuse. J’ai adoré me promener avec Alice, l’accompagner dans sa souffrance et l’entendre râler contre ce salaud de Fabrice Picard.

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La revanche de Kevin – Iegor Gran (271 pages)

Vous ai-je déjà parlé de Iegor Gran ? Je ne suis pas sûre sûre. Pendant de nombreuses années, Iegor Gran a écrit une littérature humoristique et grinçante, loin de son histoire familiale et de sa Russie natale. Depuis quelques années, il écrit toujours une littérature bourrée d’humour grinçant, mais qui raconte son pays d’origine. La revanche de Kevin fait partie de la première catégorie. Comme toujours, l’auteur s’applique à décortiquer un milieu social pour le dégommer à coup de stylo. Cette fois, il s’attaque au milieu de la littérature et de la radio avec son ton caustique. Mais de faux semblants en faux semblants, rien n’est vraiment ce qu’il paraît être et bien malin celui qui trouvera qui se joue de qui. Au détriment de Kevin, bien sûr, puisque porter ce prénom est déjà une croix en soi. On retrouve tous les ingrédients du style de l’auteur, le cocasse noir, le tragi-comique, la légèreté qui masque la profondeur.

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Les autres ne sont pas des gens comme nous – J.M. Erre (158 pages)

J.M. Erre ose tout, pourtant il est loin de confirmer l’adage d’Audiard, car il est loin d’être con. Il est cynique et s’amuse des injonctions du moment, critique ouvertement l’autofiction comme seule voie littéraire en se présentant comme une jeune fille handicapée dans un fauteuil roulant qu’elle ne peut manipuler que grâce à son majeur qui bouge un peu. Que ce serait sinistre, dit cette jeune fille, si je ne devais parler que de gens qui ne peuvent pas marcher ! Au contraire, imaginer des personnages qui marchent, ça me change de l’ordinaire ! C’est drôle, c’est grinçant, c’est caustique, c’est enlevé. Du JM Erre, bien sûr.

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Les béliers – Ahmed Fouad Bouras (308 pages)

Ce roman original se déroule en Algérie contemporaine, une Algérie ordinaire, sans qu’on nous en parle uniquement au travers des guerres qui l’ont accablée. On y croisera un immigré français, des jeunes qui travaillent, d’autres qui sont désœuvrés, des gens amoureux ou haineux, des relations père / enfant et une femme en particulier, Rahma, qui se débat entre le poids des traditions et de sa condition de femme et sa soif de liberté. Ahmed Fouad Bouras est médecin, chirurgien, pour être précise, et il s’est lancé dans cette aventure et on décèle sa profession au travers de son vocabulaire d’une précision chirurgicale, on sent qu’il veut être juste dans les termes employés. En l’occurrence, vous le découvrirez en lisant le livre, c’est surtout l’anatomie des béliers qu’il détaille. L’histoire est donc celle d’un berger, Abderrahmane, de sa relation avec son père, le vieux Dahlouk, de ses sœurs, dont Rahma, et de leur frère Ouahab, né en France et resté avec sa mère quand son père est reparti en Algérie. Ouahab souffre du syndrome de la maladie de la Tourette. Un jour, sa sœur dont il n’a jamais entendu parler l’appelle pour lui demander de venir aider son père. La curiosité de rencontrer celui qu’il a idéalisé et fantasmé l’emporte et il part sur un coup de tête en Algérie où il n’a jamais mis les pieds. Là-bas, il devient l’immigré qui ne connaît pas les codes, pas les coutumes, pas les usages. Pendant des jours et des jours, il ne rencontre même pas son père et personne ne lui parle. Alors il traîne avec les béliers, cheptel de son père et en partie de son frère.
Or, les béliers, hormis leur fonction nutritive, en particulier pour l’Aïd qui marque la fin du Ramadan sont aussi élevés pour les combats. Il m’a semblé que ces combats sont une allégorie aux combats des hommes, des combats psychologiques, larvés, spirituels, pas physiques. Les fils qui se confrontent au père, Rahma qui se confronte à la société, des inimitiés entre frères, pour déterminer qui sera le plus fort, qui aura le droit de se pavaner après l’Aïd, qui se fera bouffer.

Et pour prolonger l’expérience vous pouvez écouter l’émission de radio dédiée
https://radio-toucaen.fr/emission/isa-se-livre-20/

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ZU (Autoportrait flou) – Luc-Michel Fouassier (118 pages)

J’avais adoré « Les pantoufles «  du même auteur, alors j’ai pensé que cet hommage aux myopes allait forcément me parler. La couverture est géniale et représente bien ce que nous vivons, nous, les bigleux. D’ailleurs, si quelqu’un passait à ma portée, là, maintenant, il trouverait que je regarde mon téléphone de bien trop près, en me faisant remarquer que je devrais changer de lunettes ! Et je répondrais, comme toujours : « Mais je vois très bien de près ! » Nés à une époque où les verres n’étaient pas amincis, et où la technologie imposait par la même occasion des montures immenses quand ce n’était pas la mode, nous avons souffert de moqueries. Notre physique était mangé par des lunettes qui nous privaient de popularité. C’est ce que nous raconte l’auteur au travers de ses souvenirs. Il aurait pu aller plus loin. Il aurait pu être encore plus drôle. J’aurais dû me sentir encore plus en osmose avec ses souffrances, les quolibets reçus, les anecdotes vécues. Un petit livre sympathique qui brille moins que ses pantoufles lustrées.

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Roman fleuve – Philibert Humm (289 pages)

Trois jeunes fous germanopratins ou assimilés décident d’acheter un canoé pour effectuer une croisière sur la Seine de Paris au Havre. Ce roman raconte l’histoire véritable de Philibert et de ses deux acolytes, dont aucun n’a le pied marin, ni même fluvial qui se sont lancés dans une aventure risquée et inconsciente, et surtout interdite. C’est rigolo, même si j’ai trouvé l’auteur condescendant avec tout le monde, les gens qu’ils croisent et surtout les lecteurs, mais on passe un bon moment de rigolage à suivre leurs aventures loufoques sur l’eau.

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Miracle à la combe aux aspics – Ante Tomić traduit du croate par Marko Despot (215 pages)

Dans cette combe isolée, personne d’autre que la famille qui y vit n’ose s’aventurer. Et personne n’a intérêt à le faire. Mais les méchants peuvent parfois devenir gentils quand ils tombent amoureux. Un livre barré, déjanté, rigolo et bien écrit qui donne le sourire, voire qui fait franchement éclater de rire. Ne pas se priver.

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Une fin heureuse – Maren Uthaug, traduit du danois par Françoise et Marina Heide (410 pages)

Dans le cadre des Boréales, festival nordique en Normandie, j’ai l’occasion de découvrir des auteurs et des œuvres vers lesquelles je ne me serais naturellement pas orientée. Maren Uthaug vient à Caen cette année et c’était le moment de m’intéresser à son travail. Elle raconte une histoire originale et complètement barrée d’une famille de croque-morts au Danemark sur 7 générations. À chaque début de chapitre, vous aurez le récapitulatif de l’arbre généalogique qui s’étoffe Au fur et à mesure des générations. Malgré la fin heureuse promise par le titre, on doute que Nicolas, le seul garçon de sa lignée à avoir un prénom différent des autres, ait des intentions bienveillantes à l’égard de ses deux enfants qu’il emmène vers une destination inconnue pour mettre fin à cette lignée. Il les a drogués et leur a menti. Ce trajet en voiture va être le moyen de nous retracer l’histoire de cette famille depuis qu’on en a une trace et permet à Nicolas de nous en dépeindre toutes les tares qui le conduit à cette extrémité. Lui-même est un croque mort nécrophile, et s’il est tout à fait conscient de sa déviance, s’il a tout fait pour se prémunir contre ses penchants, il se rend compte qu’il est malade mentalement et qu’il n’a pu donner naissance qu’à des dégénérés. Un roman original par sa forme et son fond, sulfureux et subversif sans abus, drôle aussi. Un bon crû Gallmeister à n’en pas douter.