Passion William, en ai-je déjà parlé ? Cette pièce, montée à Londres pour la première fois en 1604, est d’une modernité absolue. William connaissait la nature humaine mieux que personne et savait la transmettre sur scène où tout était possible, alors que dans la vie, tout était contraint. L’histoire est donc celle d’une vengeance. Le cœur noir de Iago va instiller le poison de la jalousie dans celui d’Othello à coups de manigances et de rumeurs. Il sera démasqué trop tard, le mal sera fait, Othello aura assassiné Desdémone et se suicidera de douleur, deux cadavres qui s’ajouteront aux autres victimes collatérales de Iago. Cette tragédie Shakespearienne par excellence démontre la capacité de l’auteur à exprimer l’amour, la trahison, la manipulation.
Charles Leroy avait le même humour absurde que son illustre beau-frère, Alphonse Allais. Ce colonel est un abruti fini, inculte, ignorant, imbu de lui-même, ridicule. Ce méchant colonel se démène au milieu de soldats moins gradés que lui, qui lui doivent obéissance malgré l’incohérence des ordres. Au dix-neuvième siècle, il a fait fureur dans les gazettes où il était publié en feuilleton. La lecture est un peu ardue, car pour éviter de truffer le texte de gros mots éructés par le malotru, l’auteur s’applique à égrener son texte de petits points, si bien qu’on finit par lire un texte à trous où le néologisme f…d’nom de nom est sur employé. Pour autant, je me suis délectée de cette découverte.
L’écriture de Stefan Zweig est une pure merveille. Dans Amok, il raconte ce qu’il présente comme l’une de ses propres anecdotes de voyage. Un passager mystérieux rencontré sur un bateau au retour d’un périple en Asie du Sud-Est lui raconte la raison terrible de sa présence sur ce bateau. Tout est parfaitement orchestré par Zweig qui nous dévoile cette histoire tragique avec une économie de mots qui suffisent à nous donner la vision d’ensemble de l’ambiance, l’atmosphère, la lumière dans la nuit, la moiteur, les odeurs, le suspens.
Quand une jeune femme au passé traumatique rencontre un homme qui dit être Hamlet, le vrai, le prince du Danemark, des discussions philosophiques sur la vie, la mort, l’envie de vivre et l’avenir démarrent entre les deux protagonistes qui se cherchent, se trouvent, se séparent. Un jour, Hamlet emmène Irynia pour un voyage au bout d’elle-même.
Marie Bellando-Mitjans a un style, indéniablement, et elle a aussi un univers. Mais cette fois, les dialogues philosophiques m’ont un peu perdue. J’ai pensé que c’était lié en partie au fait que je n’avais jamais vraiment lu Hamlet, alors j’ai enchaîné sur ce classique absolu. Rien que pour m’avoir amené sur le chemin de Shakespeare, je remercie l’autrice car cette pièce somme toute très courte nous plonge dans des travers humains qui n’ont pas beaucoup évolué depuis le 16ème siècle. C’est cynique, c’est drôle, les personnages sont pédants, flagorneurs, imbus d’eux-mêmes, et Hamlet est complètement désabusé, tiraillé entre la raison et sa vision. Il était très fort, ce Shakespeare. On comprend que ça donne des idées inspirantes de roman.
A une époque où l’homosexualité était interdite et réprimée dans la plupart des pays, et même quelques années plus tard, punie de déportation, écrire un roman sur un notable homosexuel était sûrement très osé, révolutionnaire et audacieux.
Aujourd’hui, cette histoire de prof amoureux de son élève et marié par convention semble un peu désuète pour un public moderne. Pour autant, le style de Zweig nous emporte dans son histoire et nous brosse un tableau de la jeunesse allemande des années 20. Et ce petit classique reste un bijou d’écriture.
Salammbô est le livre préféré d’un ami. À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Flaubert, Rouen, sa ville natale, organise une exposition sur Salammbô. Avant d’aller voir cette expo, je me devais de l’avoir lu ! J’ai toujours aimé les classiques, Balzac, Zola entre autres. Mais j’avoue être complètement passée à côté de Madame Bovary. Cette insatisfaite chronique, son ennui de la vie, m’ont profondément agacée. Flaubert a par ailleurs essuyé de nombreuses critiques sur ce livre scandaleux (une femme adultère, mais où allons-nous ?). Ainsi, il avait décidé d’écrire un livre complètement différent et c’est de ce rejet qu’est venue l’idée de ce roman.
Salammbô est une pure merveille, un vrai joyau de lecture, ciselé à l’or fin et incrusté de pierreries. Salammbô, c’est le pendant de l’Iliade et l’Odyssée. C’est l’art de la guerre, ce sont des hommes qui ont marqué l’histoire, au point qu’on en parle encore plus de 2000 ans plus tard. C’est une profusion de richesses, et des descriptions de stratégies qui forcent l’admiration. C’est aussi l’horreur de batailles sanglantes, de sacrifices humains. Entre suspens et effusions de sang, vous dévorerez ce péplum remarquable.
Mon rendez-vous avec Lolita aura été une amère déception. Je croyais lire l’histoire d’une jeune fille un peu délurée qui aurait rendu fou d’amour un homme mûr. Je ne crois pas beaucoup me tromper en affirmant que c’est un peu ce qui est entré dans l’imaginaire collectif. Toutes les couvertures le sous-entendent. Quand on dit d’une jeune fille qu’elle est une lolita, on pense allumeuse. Jamais on ne pense victime. Jamais on ne dit petite fille violée.
Ce livre est la confession d’un pédophile assumé, qui sait parfaitement que ses pulsions sexuelles sont interdites et malsaines. C’est de surcroît un assassin, ce qui nous est dévoilé très rapidement. Ce livre a fait scandale à l’époque, on se demande même si quelqu’un oserait le publier de nos jours, mais ce scandale a eu lieu pour de mauvaises raisons selon moi. En 1955, ce qui a prévalu, c’est à la fois le caractère pornographique de l’œuvre (or ce n’est en aucun cas pornographique) et l’absence finalement de pornographie (ceux qui attendaient, comme l’a lui-même dit Nabokov, une escalade de scènes de plus en plus sexuelles ont été déçus). Ce livre était donc inclassable, et c’est ce qui a déclenché le scandale.
Nous n’avons que le point de vue de cet homme, empli d’une morgue dédaigneuse, imbu de lui-même, qui justifie tous ses comportements hideux en mettant de côté le ressenti de cette pauvre enfant. On sent qu’elle fait ce qu’elle peut pour éviter, contourner, vivre avec cette dépendance infâme. Il la menace, lui ment, lui fait du chantage pour la forcer.
C’est par ailleurs assez monotone et si on trouve quelques belles pages littéraires, on s’ennuie plutôt ferme durant les 500 et quelques pages du roman
Un des plus beaux vers de la poésie française est sorti du cerveau un peu fantasque de Guillaume Apollinaire : “et mon verre s’est brisé dans un éclat de rire.”
Alexandra Koszelyk réussit la prouesse de nous emmener sur le terrain glissant de la fiction magique sans se casser la figure et sans un seul instant friser le ridicule tout en parvenant à nous transmettre l’essentiel de la biographie du poète qui a révolutionné la poésie sans étaler son érudition et ses recherches colossales. Elle aborde aussi un aspect plus méconnu de la vie de l’artiste, son amour de la nature, en faisant t directement parler Gaïa, la terre nourricière.
Elle met en scène un obscur prof d’allemand qui, du jour au lendemain est obsédé par Apollinaire, rêve de moments qui lui semblent réels, et démarre des recherches approfondies sur l’homme, son histoire et sa littérature.
Un roman instructif et abordable pour nous replonger dans l’œuvre et la vie de ce poète au destin singulier.
J’ai adoré Honoré de Balzac, jeune. Je ne l’ai jamais trouvé ennuyeux, ou trop descriptif. Mais je n’aurais jamais imaginé que cet écrivain génial et prolifique était un dépensier compulsif, fou de fringues et de décoration d’intérieur. Pas étonnant que les femmes se sentaient tellement en phase avec un homme qui avait les mêmes hobbies et qui les comprenait si bien. Titiou Lecoq a épluché la correspondance et la comptabilité (plutôt fantaisiste) de l’écrivain pour nous en dresser un portrait extrêmement moderne. Elle parvient à cette conclusion fondamentale et lucide : les auteurs sont des gens comme les autres. Même géniaux, même prolifiques, ils sont confrontés à des réalités bassement matérielles, et peuvent en arriver à être des menteurs invétérés pour éviter leurs créanciers. Ce livre est un enchantement, offre un visage et une facette méconnus de Balzac, et donne envie de se replonger dans littérature dans laquelle il s’est finalement inventé sa vie de rêve.
Brice Matthieussent n’a pas son pareil pour révéler l’humour des ouvrages qu’il traduit. Mon chien Stupide n’échappe pas à la règle.
Molise est un écrivain en berne qui survit grâce à des scénarii de télévision. Sa vie le déprime énormément, les signes extérieurs de richesse qu’il essaye tant bien que mal de maintenir ne le rendent pas heureux et il aimerait assez se débarrasser de ses quatre enfants, tous adultes, qu’il considère comme des parasites encombrants et ingrats.
Un soir de forte pluie, un chien élit domicile chez lui, au grand dam de son épouse. Ce chien est tellement bête que tout le monde s’accorde à l’appeler Stupide. Sous une apparente placidité, ce chien va se révéler être un obsédé homosexuel, prêt à s’attaquer à tout ce qui bouge, et devenir agressif si on essaye de le contrer.
John Fante s’attaque à des mythes du rêve américain : belle maison, belle voiture, mais surtout une bonne couche de vernis pour masquer la misère de l’ensemble. Doit-on continuer à sauver les apparences, ou bien vivre ses rêves et ses envies d’ailleurs ? Cru et désabusé.