Je découvre Dany Laferrière, grand romancier d’origine haïtienne par ce petit ouvrage qui raconte son arrivée dans le plus extrême dénuement au Canada où il s’est installé lorsqu’il avait une vingtaine d’années. L’écriture incroyablement poétique en vers libres de ce roman m’a bouleversée. On est décidément plus sensible à certaines écritures qu’à d’autres. Je remercie Monsieur Laferrière de s’être mis à raconter sa vie. Il le fait d’une manière tout à fait délicate.
S’il y a quelqu’un que j’aurais rêvé de rencontrer, c’est Anne Sylvestre. Elle a bien sûr enchanté mon enfance et celle de mes enfants avec ses fabulettes. Si elle a su s’adapter au monde des tout petits, elle a surtout écrit des textes très forts pour les adultes. Féministe à une époque où ça n’existait pas, elle a su faire un pied de nez avec l’élégance qui la caractérisait à tous les machos de la terre. Dans ce livre, elle recense ses souvenirs, ses petits travers, ses amours et ses inimitiés au travers de mots qu’elle manie avec son intelligence et son humour. Que c’est beau ! C’est drôle, c’est poétique, c’est sublime. Et son parfum continue d’embaumer, même quand on ne vous aime plus. Pour ma part, aucun risque de ne plus aimer Anne Sylvestre.
Et si la poétesse Sylvia Plath ne s’était pas suicidée en 1963, écartelée entre son rôle de mère, de bonne épouse bafouée, trahie et quittée, et son envie incommensurable d’être libre et d’écrire ? C’est le postulat de Coline Pierré, qui a choisi la vie, plutôt que la mort, et fait vivre Sylvia au-delà de cette date fatidique. Mariée à l’un des plus grands poètes contemporains, Ted Hughes, elle aura été novatrice dans l’écriture, à la fois féministe et très ancrée dans le réel de la femme au foyer. Aujourd’hui, elle serait probablement détectée bipolaire. A l’époque, trahie par l’homme de sa vie, et malgré son succès déjà éclatant, elle ne trouvera pas d’autre issue et scellera son sort. Coline Pierré signe là une ode à la vie, aux femmes, au féminisme, à l’optimisme, tout en décrivant une époque, où le joug des femmes était bien difficile à enlever.
Marie Mazille est une grande artiste. Alors ce n’est pas un long confinement, suivi d’un deuxième qui allait tarir cette source d’idées inépuisables. Après avoir rameuté tout son immeuble pour chanter aux balcons, elle a rassemblé ces créations dans un disque étonnant. Au deuxième confinement, elle a eu l’idée de ce livre destiné aux jeunes générations, pour qu’on puisse expliquer de façon ludique ces périodes étranges et figées. Figées ? Avec Marie, pas tellement, elle a cette fois trouvé d’autres complices dont sa tante, Capucine qui a divinement illustré cette chanson, la plus longue du monde. Avec deux autres complices, elle retrace toute l’absurdité de ce temps suspendu, des déclarations du président aux médecins aux cheveux longs, en passant par les problèmes de retrouvailles des amants, les femmes battues et la pénurie de PQ. C’est n’importe quoi, mais c’est ça qui est bien.
Un peu de poésie dans ce monde de brutes ! Ce jeune homme très doux et un peu dans la lune (d’où le titre) nous emmène en voyage dans son univers très joli.
Pour compléter ma lecture précédente, je me suis (re)plongée dans le texte de Jean-Michel Djian, écrit spécialement pour Jean-Pierre Daroussin, son pote. Je suis allée voir Daroussin jouer ce texte qui le met en valeur. Le texte met en valeur l’acteur qui met en valeur le texte. Un texte un peu barré, inspiré par le fantôme d’Arthur Rimbaud, truffé d’extraits de poèmes de celui qui a révolutionné la poésie en arrêtant d’écrire à vingt ans. Une fantaisie qui brode autour de sa vie, tout en imaginant une fin différente de la vie de Rimbaud. Et s’il n’était pas mort à 37 ans, mais qu’il avait fini à l’asile ? L’auteur, en me dédicaçant mon exemplaire m’a dit : rimbaldienne, je suppose ? Ben non, en fait, pas du tout, j’ai acheté le texte pour le redéguster après coup, car la poésie qui s’en dégage nécessitait de s’y replonger. J’ai vécu la première fois, déclamé par Daroussin en apesanteur. La deuxième, j’ai apprécié les allusions, les anecdotes, les petites folies qui s’en dégagent. Pour fêter le bicentenaire de la mort du poète, c’était un bel hommage.
Au départ, un libraire que j’ai déjà rencontré (dire qu’on se connaît serait abusif) a écrit de la poésie. Ça intrigue, on a envie de voir ce qu’il a dans le ventre, surtout quand on découvre les belles couvertures et les titres magnifiques, et une maison d’édition au nom si joli : 10 pages au carré. Cela donne des livres carrés de dix pages, avec des textes incroyables dedans. Deux textes très différents à lire et à relire, sublimes chacun.
Les doutes étendus sur la corde à linge, c’est une douce mélancolie qui se réclame un peu de Thomas Vinau, des petits moments croqués de la vie quotidienne et du temps qui s’égrène. C’est juste, c’est très beau, les mots s’enchaînent, à peine fini, on a envie d’y revenir, et de retrouver les passages qui nous ont fait vibrer. Alors on le relit, dans l’ordre et le désordre, car même si le texte est écrit d’un bloc, on peut facilement en grapiller quelques bouchées par-ci, par-là, et c’est bon aussi.
Au bout des doigts, que de la kératine est un texte aux associations de mots qui fonctionnent, âpre, dur, violent presque. Il vous secoue, vous remue, vous embarque dans ses images qui vous choquent qui s’entrechoquent et qui ne vous laissent jamais indifférents.
Deux textes très différents, donc, mais une maison qu’on a envie de suivre. En tout, six ouvrages existent. Après avoir lu ces deux-là, on a envie de tous les acheter.
Un recueil de poésies en vers ou en proses, quelques beaux textes à découvrir, personnellement j’ai préféré les textes en vers. L’amour, la mort, la guerre, l’heroic fantasy sont les thèmes qui nous sont proposés ici.
En 1946, Boris Pasternak, le grand poète russe rencontre Olga Ivinskaïa, sa dernière muse. Marié par ailleurs, il entretiendra une relation passionnée avec cette femme sublimement belle dont il fera le personnage de Lara dans Docteur Jivago.
Ce roman aura des conséquences internationales et l’auteur devra renoncer au prix Nobel pour l’avoir fait publier à l’étranger. Pour blesser Pasternak dans ce qu’il a de plus cher, Olga sera envoyée par deux fois dans des camps de concentration. La première fois, elle perdra le bébé qu’elle attendait du poète. La deuxième fois, mère et fille partiront toutes les deux, après la mort de Pasternak.
L’autrice raconte cet homme qui a été son presque père, le tragique et l’absurde d’une époque, le romanesque et parfois les convictions de ces poètes qui ont accompagné son enfance et son adolescence. Une petite histoire qui a pris place dans la grande Histoire. Un témoignage unique, truffé d’anecdotes, de lettres sublimes « il faut que je t’écrive à la hâte, ne m’en veux pas, mais pense plutôt à l’infinité de toutes les choses non dites qui restent en dehors de toutes les lettres au monde… » (Ariadna Efron, à Irina pendant son incarcération) et d’extraits de poèmes.
Dans une lettre de Chamalov envoyée à sa mère, poète qui aura passé vingt ans dans des goulags plus sévères les uns que les autres (à l’époque qu’ils nomment tous pudiquement « du culte de la personnalité » ) ce dernier explique à quel point la poésie a permis aux prisonniers de tenir le coup dans les moments les plus difficiles. Un message à ceux qui douteraient encore de l’essentialité de la littérature.