Après la lecture violente qui précède, j’avoue que revenir dans les douceurs des trente glorieuses de l’entre-deux guerres a été une oasis de fraîcheur de douceur et de joie. Liane de Pougy, devenue Princesse Ghika au moment où elle écrit ce journal, destiné dès le départ à être publié, lorsqu’elle approche la cinquantaine (elle ne cesse de mentir sur son âge durant le récit) nous balade dans un Paris et un Roscoff pleins d’esprit, d’intellectuels, de beau monde. Sa plume est divine, touchante, drôle. Elle est cabotine, sensuelle, rosse tour à tour. Et pieuse, très pieuse.
Cette femme si belle aura vécu mille vies (danseuse, comédienne, courtisane, princesse et finalement, religieuse). Elle aura vécu sa bisexualité au grand jour. Elle a fréquenté toutes les personnes importantes de son époque, qu’ils soient du monde politique (y compris des chefs d’état), militaire, artistique (peinture, littérature, musique, comédie, couture). Elle aura fréquenté Mac Mahon, le général Lyautey, Natalie Clifford Barney, son grand amour, Max Jacob, Coco Chanel, Colette, Proust, Sacha Guitry, Louis Aragon, Raymond Radiguet, Jean Cocteau, Erik Satie, Francis Poulenc et bien sûr j’en oublie, la liste est reprise à la fin du livre tellement elle a croisé, lié amitié avec des personnes connues.
Elle s’y raconte sans fard, et en même temps, elle nous fait pas mal de cachotteries. Un livre qui retrace une époque, magnifique et flamboyante, où l’on sait qu’une fête a été réussie aux millions de francs de perles qui y ont été portées. Et Liane de Pougy, libre, fière, indépendante, amoureuse, sans tabous à une époque où on aurait pu penser les carcans inflexibles, évolue avec grâce, toujours belle, égratignant les femmes qui ont décliné avec l’âge, célébrant celles qui traversent le temps sans traces. On a envie de souligner mille petites phrases, on dirait aujourd’hui des punchlines, à l’époque, on parlait de « bons mots », subtiles, d’une intelligence remarquable. Je ne retranscrirai que celui-là, quand elle se demande ce qu’elle va dire au prêtre à confesse, tant elle a à confesser, elle se décide finalement pour : « Mon père, à part voler et tuer, j’ai tout fait ! ». On adore Liane de Pougy, malgré ses égarements politiques, malgré ou grâce à sa légèreté.
